Satan cruel seigneur

Bernanos Georges



C’est alors qu’elle appela, du plus profond, du plus intime, d’un appel qui était comme un don d’elle-même, Satan.
D’ailleurs, qu’elle l’eût prononcé ou non, il ne devait venir qu’à son heure et par une route oblique. L’astre livide, même imploré, surgit rarement de l’abîme. Aussi n’eût-elle su dire, à demi-consciente, quelle offrande elle faisait d’elle-même, et à qui. Cela vint tout à coup, monta moins de son esprit que de sa pauvre chair souillée. La componction que l’homme de Dieu avait en elle suscitée un moment n’était plus qu’une souffrance entre les souffrances. La minute présente était toute angoisse. Le passé était un trou noir. L’avenir est un autre trou noir. Le chemin où d’autres vont pas à pas, elle l’avait déjà parcouru : si petit que fût son destin, au regard de tant de pécheurs légendaires, sa malice discrète avait épuisé tout le mal dont elle était capable –à une faute près – la dernière. Dès l’enfance, sa recherche s’était tournée vers lui, chaque désillusion n’ayant été que prétexte à un nouveau défi. Car elle l’aimait.
Où l’enfer trouve sa meilleure aubaine, ce n’est pas dans le troupeau des agités qui étonnent le monde de forfaits retentissants. Les plus grands saints ne sont pas toujours des saints à miracles, car le contemplatif vit et meurt le plus souvent ignoré. Or, l’enfer aussi a ses cloîtres.
La voilà donc sous nos yeux, cette mystique ingénue, petite servante de Satan, sainte Brigitte du néant. Un meurtre excepté, rien ne marquera ses pas sur la terre. Sa vie est un secret entre elle et son maître ou plutôt le seul secret de son maître. Il ne l’a pas cherchée parmi les puissants, leurs noces ont été consommées dans le silence. Elle s’est avancée jusqu’au but, non pas à pas, mais comme par bonds, et le touche quand elle ne le croyait pas si proche. Elle va recevoir son salaire. Hélas ! il n’est pas d’homme qui, sa décision prise et le remords d’avance accepté, ne se soit, au moins une minute, rué au mal avec une claire cupidité, comme pour en tarir la malédiction, cruel rêve qui fait geindre les amants, affole le meurtrier, allume une dernière lueur au regard du misérable décidé à mourir, le col déjà serré par la corde et lorsqu’il repousse la chaise d’un coup de pied furieux… C’est ainsi, mais d’une force multipliée, que Mouchette souhaite dans son âme, sans le nommer, la présence du cruel Seigneur.
Il vint aussitôt, tout à coup, sans nul débat, effroyablement paisible et sûr. Si loin qu’il pousse la ressemblance de Dieu, aucune joie ne saurait procéder de lui, mais, bien supérieure aux voluptés qui n’émeuvent que les entrailles, son chef-d’
œuvre est une paix muette, solitaire, glac
ée, comparable à la délectation du néant.




Georges Bernanos est un écrivain français, né le 20 février 1888 dans le 9e arrondissement de Paris et mort le 5 juillet 1948 à Neuilly-sur-Seine à l'âge de 60 ans. Georges Bernanos passe sa jeunesse en Artois et cette région du Nord constituera le décor de la plupart de ses romans. Il participe à la Première Guerre mondiale et est plusieurs fois blessé, puis il mène une vie matérielle difficile et instable en s'essayant à la littérature. Il obtient le succès avec ses romans Sous le soleil de Satan en 1926 et Journal d'un curé de campagne en 1936. Dans ses œuvres, Georges Bernanos explore le combat spirituel du Bien et du Mal, en particulier à travers le personnage du prêtre catholique tendu vers le salut de l'âme de ses paroissiens perdus comme Mouchette.


Naissance: 1888,Paris (France)
Décès: 1948,Neuilly-sur-Seine (France)


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Wikipédia sur Georges Bernanos
https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Bernanos


Wikipédia sur « Sous le soleil de Satan »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sous_le_soleil_de_Satan


Réactions à l’attribution de la palme d’or à Cannes au film « Sous le soleil de satan »
https://www.youtube.com/watch?v=1lEa3LBRtZE