Le ciel couvercle noir

Céline Louis-Ferdinand



Quand on arrive, vers ces heures-là, en haut du Pont Caulaincourt, on aperçoit, au-delà du grand lac de la nuit qui est sur le cimetière, les premières lueurs de Rancy. C’est sur l’autre bord, Rancy. Faut faire tout le tour pour y arriver. C’est si loin ! Alors on dirait qu’on fait le tour de la nuit même, tellement il faut marcher de temps et des pas autour du cimetière pour arriver aux fortifications.
Et puis, ayant atteint la porte, à l’octroi, on passe encore devant le bureau moisi où végète le petit employé vert. C’est tout près alors. Les chiens de la zone sont à leur poste d’aboi. Sous un bec de gaz, il y a des fleurs quand même, celles de la marchande qui attend toujours là les morts qui passent d’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre. Le cimetière, un autre encore, à côté, et puis le boulevard de la Révolte. Il monte avec toutes ses lampes, droit et large en plein dans la nuit. Y a qu’à suivre, à gauche. C’était ma rue. Il n’y avait vraiment personne à rencontrer. Tout de même, j’aurais bien voulu être ailleurs et loin. J’aurais aussi voulu avoir des chaussons pour qu’on m’entende pas du tout rentrer chez moi. J’y étais cependant pour rien, moi, si Bébert n’allait pas mieux du tout. J’avais fait mon possible. Rien à me reprocher. C’était pas de ma faute si on ne pouvait rien dans des cas comme ceux-là. Je suis parvenu jusque devant sa porte et, je le croyais, sans avoir été remarqué. Et puis, une fois monté, sans ouvrir les persiennes, j’ai regardé par les fentes pour voir s’il y avait toujours des gens à parler devant chez Bébert. Il en sortait encore quelques uns des visiteurs, de la maison, mais ils n’avaient pas le même air qu’hier, les visiteurs. Une femme de ménage des environs, que je connaissais bien, pleurnichait en sortant. « On dirait décidément que ça va encore plus mal, que je me disais. En tout cas, ça va sûrement pas mieux… Peut-être qu’il est déjà passé, que je me disais. Puisqu’il y en a une qui pleure déjà ! » La journée était finie. Je cherchais quand même si j’y étais pour rien dans tout ça. C’était froid et silencieux chez moi. Comme une petite nuit dans un coin de la grande, exprès pour moi tout seul.
De temps en temps montaient des bruits de pas et l’écho entrait de plus en plus fort dans ma chambre, bourdonnait, s’estompait… Silence. Je regardais encore s’il se passait quelque chose dehors, en face. Rien qu’en moi que ça se passait, à me poser toujours la même question. J’ai fini par m’endormir sur la question, dans ma nuit à moi, ce cercueil, tellement j’étais fatigué de marcher et de ne trouver rien.

 

Lois Ferdinand Cléine, extrait de "Voyage au bout de la nuit© Éditions Gallimard

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Naissance: 1894
Décès: 1961


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