Portrait Moral de Louis XI

Commynes Philippe (de)


Philippe de Commynes (1447 ?-1511)

Entre tous ceux que j'ai jamais connus, le plus avisé pour se tirer d'un mauvais pas en temps d'adversité, c'était le roi Louis XI , notre maître, et aussi le plus humble en paroles et en habits, et l’être qui se donnait le plus de peine pour gagner un homme qui pouvait le servir ou qui pouvait lui nuire. Et il ne se dépitait pas d'être rebuté tout d'abord par un homme qu'il travaillait à gagner, mais il persévérait en lui promettant largement et en lui donnant en effet argent et dignités qu'il savait de nature à lui plaire; et ceux qu'il avait chassés et repoussés en temps de paix et de prospérité, il les rachetait fort cher quand il en avait besoin, et se servait d'eux sans leur tenir nulle rigueur du passé.
Il était par nature ami des gens de condition moyenne et ennemi de tous les grands qui pouvaient se passer de lui. Personne ne prêta jamais autant l'oreille aux gens, ne s'informa d'autant de choses que lui, et ne désira connaître autant de gens. Car il connaissait tous les hommes de poids et de valeur d'Angleterre, d'Espagne, du Portugal, d'Italie, des états du duc de Bourgogne, et de Bretagne, aussi à fond que ses sujets. Et cette conduite, ces façons dont il usait, comme je viens de le dire, lui permirent de sauver sa couronne, vu les ennemis qu'il s'était faits lui-même lors de son avènement au trône.
Mais ce qui le servit le mieux, ce fut sa grande largesse, car s'il se conduisait sagement dans l'adversité, en revanche, dès qu'il se croyait en sûreté, ou seulement en trêve, il se mettait à mécontenter les gens pas des procédés mesquins fort peu à son avantage, et il pouvait à grand'peine endurer la paix. Il parlait des gens avec légèreté, aussi bien en leur présence qu'en leur absence, sauf de ceux qu'il craignait, qui étaient nombreux, car il était assez craintif de sa nature. Et quand, pour avoir ainsi parlé, il avait subi quelque dommage ou en avait soupçon et voulait y porter remède, il usait de cette formule adressée au personnage lui-même: « Je sais bien que ma langue m'a causé grand tort, mais elle m'a aussi procuré quelquefois bien du plaisir. Toutefois il est juste que je fasse réparation.» Jamais il n'usait de ces paroles intimes sans accorder quelque faveur au personnage à qui il s'adressait, et ses faveurs n'étaient jamais minces. C'est d'ailleurs une grande grâce accordée par Dieu à un prince que l'expérience du bien et du mal, particulièrement quand le bien l'emporte, comme chez le roi notre maître nommé ci-dessus.
Mais à mon avis, les difficultés qu'il connut en sa jeunesse, quand, fuyant son père, il chercha refuge auprès du duc Philippe de Bourgogne, où il demeura six ans, lui furent très profitables, car il fut contraint de plaire à ceux dont il avait besoin: voilà ce que lui apprit l'adversité, et ce n'est pas mince avantage. Une fois souverain et roi couronné, il ne pensa d'abord qu'à la vengeance, mais il lui en vint sans tarder les désagréments et, du même coup, du repentir; et il répara cette folie et cette erreur en regagnant ceux envers qui il avait des torts.






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Wikipédia sur Commynes
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Wikipédia sur le Roi Louis XI
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_XI


Louis XI le méconnu, par Gonzague Saint-Bris
https://www.youtube.com/watch?v=fO011-M_Oxg