Cœur brûle

Le Clézio Jean-Marie Gustave


Clémence regardait sa sœur, et elle avait le cœur qui lui faisait mal. Elle ne pouvait rien pour elle. C’était trop tard, trop loin, trop différent. Elle avait étudié le droit, passé des concours, et elle ne savait pas arrêter sa sœur au moment où elle tombait.

Elle a essayé de poser des questions, savoir ce que faisait Laurent, s’il allait changer de vie. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher de procéder à un interrogatoire.

Pervenche s’était refermée. Elle détestait tout ce que Clémence représentait, la fonction sociale, les responsabilités, l’autorité. À un moment, Clémence lui a dit maladroitement qu’elle pouvait l’aider, lui prêter de l’argent, pour qu’elle s’en aille de ce taudis, loin de ces gens épouvantables. Pervenche a réagi brutalement. Ses yeux bleus brillaient d’un éclat méchant, toute sa face s’est contractée jusqu’à dessiner de petites rides autour de sa bouche et de son nez, sur son front. Elle parlait avec une drôle de voix basse, enrouée, que Clémence ne connaissait pas. « C’est toi qui vas m’aider, bien sûr c’est toi qui sais tout, c’est toi qui juges tout, qui décides tout, et moi, j’ai dix ans, il faut que je t’écoute, toi et ton petit pouvoir sur les gens, tu crois que tu sais quelque chose sur moi, mais tu ne sais rien de ma vie, tu voudrais bien savoir, mais tu ne sais rien de moi, je n’ai pas besoin de tes conseils de merde, j’en ai pas besoin, je n’ai pas besoin de toi, casse-toi de ma vie, oublie-moi. » Son visage était embrumé de colère. Et comme Clémence ne répondait rien, elle s’est recouchée, tout était tellement en désordre, avec ce vieux matelas par terre et juste un drap sale en boule. Quand elle s’est rassise pour allumer une cigarette, son T-shirt a bâillé et Clémence a vu sa poitrine, et en haut de ses seins elle avait une série de marques rouges comme des brûlures. Elle a tressailli parce qu’elle se souvenait de la peau de Pervenche autrefois, quand elles se baignaient ensemble dans le bassin des Tulipanes, non pas une piscine mais une simple flaque où les enfants nageaient au milieu des grenouilles et des punaises d’eau. L’odeur de la peau de Pervenche, une odeur d’herbe mouillée, fraîche et douce, il y avait si longtemps qu’elle n’y avait pas pensé, et ça rendait le présent encore plus détestable.

Elle a quitté l’appartement très vite. Elle avait mal au cœur, peut-être que c’était ce souvenir, ou bien c’était l’odeur de la marie-jeanne qui l’avait imprégnée. Elle a pris le train du soir pour Bordeaux.

 

JMG Le Clézio, Coeur brûle et autres romances @2000 Gallimard


Ecrivain de langue française, de nationalités française et britannique, Le Clézio est fortement imprégné par la culture mauricienne et bretonne de sa famille
Il connaît très vite le succès avec son premier roman publié, Le Procès-verbal (1963). Jusqu’au milieu des années 1970, son œuvre littéraire porte la marque des recherches formelles du Nouveau Roman4. Par la suite, influencé par ses origines familiales, par ses incessants voyages et par son goût marqué pour les cultures amérindiennes, Le Clézio publie des romans qui font une large part à l'onirisme et au mythe (Désert et Le Chercheur d’or), ainsi que des livres à dominante plus personnelle, autobiographique ou familiale (L'Africain). Il est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages de fiction (romans, contes, nouvelles) et d'essais. Le prix Nobel de littérature lui est décerné en 2008, en tant qu’« écrivain de nouveaux départs, de l’aventure poétique et de l'extase sensuelle, explorateur d'une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante ». Son œuvre est traduite en 36 langue.


Naissance: 1940,Nice


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