Le somnambule

Xingjian Gao


Le somnambule se retrouve seul avec la valise. Tout le reste est dans l’obscurité.

Le somnambule : Tu ne retrouves plus le chemin par où tu es venu. Tu fouilles ta mémoire à la recherche du fil conducteur qui pourrait te ramener à ton point de départ … Ton studio, ton lit, le numéro de la rue où tu habitais, ton bureau, ton stylo, ton bistrot où tu échangeais souvent quelques mots avec le patron, tes boutons tombés, tes ongles coupés … tout est perdu. Qui tu étais … ce que tu faisais … ton identité et ta personnalité, si tu en avais une, ainsi que ton innocence. Mais après tout, étais-tu si innocent ? Tu ne le sais pas non plus. Tu sais seulement que, piégé par les malédictions, plus tu fais d’efforts pour t’en tirer, plus tu t’enfonces. Devenu une proie, tu te trouves maintenant à épier, à chercher de tous côtés, à tout instant. Il ne te reste qu’à attendre, d’un moment à l’autre, qu’un coup de feu ou de couteau te raidisse le dos …

 (Il baisse la tête devant la valise) Un piège de plus ? (Il la contourne) Vas-tu te laisser tenter ? (Il lève la tête) Tu n’as jamais su résister. Depuis ton enfance, car tu as quand même eu une enfance dont il te reste quelques souvenirs flous. Tu te souviens que tu étais toujours saisi de curiosité devant une malle, un coffre, une armoire ou une porte fermée à clé. Une soif instinctive du mystère, ou l’espoir d’un miracle ? Tu ne sais pas. Tu te rappelles aussi que tu étais toujours déçu quand tu réussissais à les ouvrir. Envahi par une étrange sensation de vide, tu étais poussé toujours plus avant vers ce vide absolu qui n’existe pas non plus. (Il s’en va, fait quelques pas et tourne la tête pour regarder de nouveau la valise) Cette maladie, tu n’as jamais pu la guérir. Attiré et obsédé par l’inconnu, tu te laisses posséder par ce désir indécis. Peut-être n’y aura -t-il rien d’autre dans cette valise que la mort, tu le sens bien. Mais jouer avec elle, ça t’excite et t’éblouit.

 (Il ouvre la valise, une tête de femme ressemblant à la prostituée roule à ses pieds. Il sursaute, puis la regarde. La porte s’ouvre petit à petit, puis plus largement. Le clair de lune entre sur la scène mais on ne voit pas la lune. Un ciel nocturne pur, des cris à peine perceptibles de mouettes venant du dehors)

 (Il lève la tête, face à la porte) : Tu entendais le vent souffler et la marée monter, tu voyais les reflets de la lune qui scintillaient. Et sur de longues vagues glissantes, des lueurs bleues phosphorescentes ondoyaient comme des serpents fluorescents, tantôt disparaissant, tantôt réapparaissant, et finalement disparues quand les vagues s’approchaient de tes chevilles, alors que l’adolescent que tu étais, les pieds nus entièrement submergés d’eau froide, surpris, effrayé et attiré, s’avançait malgré lui, pas à pas, dans cette mer ondulante et noire … (Il va vers la porte grande ouverte) Pour la première fois, tu affrontais la séduction de la mort. (Il s’arrête)






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