La Pêche d'Ysengrin

Anonyme


Le Roman de Renart (XII-XIIIe siècle environ)

C'était peu de temps avant Noël, quand on pense à saler les bacons. Le ciel était parsemé d'étoiles, il faisait un grand froid, et le vivier où Renart avait conduit son compère était assez fortement pris de glace pour pouvoir en toute sécurité y former des rondes joyeuses. Il n'y avait qu'un seul trou, soigneusement entretenu chaque jour par les paysans du village, et près duquel ils avaient laissé le seau qui leur servait à puiser de l'eau.
Renart, montrant le vivier, dit : « Oncle Ysengrin, c'est là que se tiennent en grand nombre les barbeaux, les tanches et les anguilles ; et justement voici l'engin qui sert à les prendre. » (Il montrait le seau). « Il suffit de le tenir quelque temps plongé dans l'eau, puis de l'en tirer quand on sent à son poids qu'il est rempli de poissons. »
- Je comprends, dit Ysengrin, et pour bien faire, je crois, beau neveu, qu'il faudrait attacher l'engin à ma queue. C'est apparemment ainsi que l'on doit faire quand on veut faire bonne pêche. »
- Justement, dit Renart, quelle merveille que vous compreniez cela aisément ! Je vais faire ce que vous demandez. » Il serre fortement le seau à la queue d'Ysengrin. « Et maintenant vous n'avez plus qu'à vous tenir immobile pendant une heure ou deux, jusqu'à ce que vous sentiez les poissons arriver en foule dans l'engin. »
- Je comprends fort bien. En ce qui concerne la patience, j'en aurai tant qu'il le faudra. »
Renart se place alors un peu à l'écart, sous un buisson, la tête entre les pieds, les yeux fixés sur son compère. Le loup se tient au bord du trou, la queue en partie plongée dans le seau qu'elle retient. Mais comme le froid était extrême, l'eau ne tarda pas à se figer, puis à se changer en glace autour de la queue. Le loup, qui se sent tiré, attribue le tiraillement aux poissons qui arrivent ; il se félicite, et déjà songe au profit qu'il va tirer de cette pêche miraculeuse. Il fait un mouvement, puis s'arrête encore, persuadé que plus il attendra, plus il amènera de poissons à bord du seau. Enfin, il se décide à retirer sa queue mais ses efforts sont inutiles. La glace a pris de la consistance, le trou est fermé, la queue est arrêtée sans qu'il lui soit possible de rompre l'obstacle. Il se démène, il s'agite, il appelle Renart : « A mon secours, mon brave neveu! Il y a tant de poissons que je ne puis les soulever. Viens m'aider, je suis las et le jour ne va pas tarder à venir. » Renart, qui faisait semblant de dormir, lève alors la tête : « Comment, bel oncle, vous êtes encore là ? Allons, hâtez-vous, prenez vos poissons et partons : le jour ne va pas tarder à venir. »
- Mais, dit Ysengrin, je ne puis les remonter. Il y en a tant, tant, que je n'ai pas la force de soulever l'engin. »
- Ah ? Répond Renart en riant. « Je vois ce que c'est, mais à qui la faute ? Vous avez voulu trop en prendre, et on a raison de dire que celui qui désire trop perd tout. »


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